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just for fun and discovery / pour la bonne étoile

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Le texte ci-dessous est celui d’une conférence de la philosophe française Luce Irigaray. Ce texte a joué un rôle déterminant dans mon parcours et explique en grande partie pourquoi j’ai abandonné le patronyme “Lessard” pour adopter le nom de Février, mois de ma naissance.

Le mystère oublié des généalogies féminines

Source: Le temps de la différence, Luce Irigaray, ISBN:2-253-05143-8, pp101-123

Dans certaines traditions, anciennes mais très évoluées, c’est la femme qui initie l’homme à l’amour. Cette initiation ne signifie pas la mise en œuvre d’un ensemble de trucs pour éveiller une jouissance élémentaire chez l’homme, elle ne correspond pas à de la séduction féminine déterminée par les instincts masculins les plus rudimentaires.

Ces procédés ne sont que des pauvres restes du rôle de la femme dans l’amour. Le commerce pornographique d’aujourd’hui voudrait nous faire croire que l’érotisme se réduit à cela, que nous ne sommes capables, nous les humains, de rien d’autre. L’érotisme, pour nous, serait drogue, oubli de nous, prostitution des femmes aux pulsions masculines, « petite mort » pour les hommes, déchéance, anéantissement, etc.

Ce schéma de l’amour est encore théorisé par Freud comme le seul possible. Et les hommes — parfois les femmes — les plus intelligents de notre époque soutiennent qu’Éros est chaos, nuit, bestialité, faute, anéantissement, mais que nous devons nous soumettre à Éros pour nous soulager de nos tensions, nous en décharger, «décharger», et revenir au repos.

Pauvre Éros! Pauvre amour ! D’autant plus que la culture actuelle n’imagine même plus qu’elle pourrait se tromper ou évoluer sur ce point. Éros, c’est cela, et ce qui n’est pas cela, c’est *agapé*, l’amour sans Éros.

Si vous ne voulez pas déchoir ou pécher, vous vous abstenez de pratiques sexuelles.

Si vous acceptez de déchoir, vous pouvez masquer ou racheter cette déchéance en l’utilisant pour procréer.

Qui sommes-nous devenus pour être si pauvres en amour? Ce qui n’empêche pas toutes sortes de complexités pornographiques ou théologiques. Nous sommes devenus pulsionnellement unisexes. Cela veut dire que nous sommes retournés au chaos antérieur à la différenciation des personnes et que l’érotisme y correspond à une sorte de pulsion aveugle, quasi permanente, incapable de se scander ou de s’harmoniser, de prendre ou donner formes, sauf dans la reproduction. Nous sommes retournés, retournées, au chaos primitif, masculin-neutre selon notre mythologie. La seule chose qui nous permet d’émerger de cet abime indifférencié est la manifestation de nous dans les enfants que nous engendrons.

Nos attraits, nos amours, nos étreintes, seraient redevenus chaotiques, en-deçà de l’individuation, non définis quant à nos apparences humaines. Nous n’y serions ni hommes ni femmes parce que pas encore hommes et femmes, encore dans l’abime d’un humain indifférencié, pôle masculin dans l’Éros le plus archaïque.

N’est-ce pas exactement ainsi que Freud décrit la libido ? Masculine, au mieux neutre, donc apparentée au chaos primitif précédant la définition des personnes, notamment dans leur appartenance sexuée.

A cette époque, historique et/ou mythique, époque encore actuelle, Éros ne pousse à s’accoupler que pour multiplier les descendants et y faire apparaître des formes plus clairement manifestées. Éros pousse à s’accoupler le Chaos neutre et la terre: Gaia, pour qu’ils produisent des rejetons dans lesquels ils découvrent leurs propres formes.

Les premiers rejetons provenant de l’abîme masculin seront l’Érèbe et la nuit, ensuite l’éther et le jour, d’abord comme espaces ensuite comme temps.

Du côté de Gaïa, les premiers engendrés sont Ouranos, le ciel, et Pontos, les océans, qui la délimitent et la définissent comme terre, comme pôle féminin, par rapport à quoi ou à qui elle enfante.

Éros, en obligeant à s’accoupler des entités encore peu différenciées sexuellement — Chaos et Gaïa — les amène à mettre au jour des êtres sexués. Ainsi la différence sexuelle apparaît-elle à travers les enfants conçus. Mais le pôle masculin des premiers accouplements refuse la naissance de ses enfants parce qu’ils l’empêchent d’être le seul amant de la terre. Il prétend les faire rester dans le ventre de leur mère, ce qui entraîne de grandes souffrances pour elle. Le fils le plus jeune de celle-ci châtre donc l’amant insatiable et le père meurtrier. Il accomplit cette opération de l’intérieur même du corps de sa mère quand Ouranos s’en approche. Le sang de cette castration tombe sur la terre et il en naîtra les Érinyes, les Géants et les Nymphes méliennes. Le sperme, lui, flotte à la surface de l’eau après que le fils ait jeté le sexe à la mer. De cette écume naît Aphrodite. Elle est conçue un peu à la manière des poissons: hors du ventre maternel et sans accouplement.

Aphrodite est donc conçue dans l’océan par le sperme d’Ouranos selon Hésiode ou par Zeus et Dioné selon d’autres versions, en particulier celle rapportée dans les poèmes homériques. Dioné, divinité peu connue, a comme rôle d’enfanter Aphrodite avec Zeus dont elle est l’équivalent féminin.
Dioné signifie Dieue.

Aphrodite serait donc, dans une tradition plus ancienne et plus cosmogonique, fille de l’océan fécondé par le sperme divin d’Ouranos, le ciel, hors d’un accouplement personnalisé. Elle serait alors fille de pôles cosmiques plus masculin ou plus féminin engendrés par Gaïa, conçue et portée dans l’élément liquide de l’univers en dehors de tout corps humain.

Les mythes ne sont pas univoques ni intemporels comme il se dit. Et Aphrodite, comme toutes les grandes divinités de l’Antiquité, est figurée de diverses manières. Une version postérieure à celle de la cosmogonie d’Hésiode (ce qui ne signifie pas nécessairement écrite après même si sa signification est postérieure dans l’ordre d’apparition des vivants de ce monde) explique la naissance d’Aphrodite comme celle d’une fille engendrée par Dieu et Dieue, donc d’une fille des Dieux des dieux mâles et femelles.

Elle représenterait un phénomène peut-être unique dans nos cultures.

Aphrodite occupe ainsi une place très particulière entre nature, dieux et manifestation humaine. Elle représente l’incarnation de l’amour, déjà sexué dans ses formes homme et femme mais proche encore du cosmos. L’émergence de cet amour humain a lieu dans une femme. Contrairement à ce qui se dit ou se croit généralement, Aphrodite n’est pas une figure ou divinité incitant à la débauche sexuelle mais elle manifeste la spiritualisation possible des pulsions ou instincts aveugles par la tendresse, l’affection (cf. Hésiode, Théogonie, 205-206, par exemple). Ces qualités de l’amour ne s’opposent pas à l’acte charnel, au contraire. Elles lui donnent sa dimension humaine. En grec, l’attribut spécifique d’Aphrodite se désigne par philotès : la tendresse. Il n’est pas question alors d’agapé sans Éros mais des deux réunis dans un amour à la fois charnel et spirituel.

Cette définition de l’amour demande que les sexes soient clairement distingués, qu’une distance les sépare et les sépare du cosmos, qu’ils ne soient pas réduits à une copulation constante ni à un accouplement ne visant qu’à engendrer.

Aphrodite est — à son époque — l’incarnation de l’amour devenant liberté et désir humains. Cette incarnation est féminine et elle représente quasiment l’envers de l’Eve séductrice. Elle est l’avènement de l’esprit dans la chair, notamment entre les sexes, grâce à la philotès féminine de la déesse.

Cela suppose, bien sûr, que la femme soit libre de ses gestes et de ses paroles et que, cette liberté, elle l’utilise à diviniser nos corps humains et non à les faire régresser à l’état animal ou élémentaire indifférencié. Cette élévation de l’amour à l’identité humaine et divine est, du point de vue de la genèse de notre culture, affaire de femme. Et quand les femmes en sont éloignées ou dépossédées, quand leur divinité en tant qu’amantes est oubliée, l’amour redevient pulsions à la limite de l’animalité, sublimation (?) désincarnée de celles-ci ou mort.

La destruction ou l’oubli de la philotès dans l’amour réinstaure une sorte de chaos primitif, dont l’instinct masculin est l’agent plus ou moins neutre, ou un au-delà de l’incarnation humaine, reversement ou renversement du chaos primitif dans un Dieu mâle unique qui ne nous enseigne plus la divinité de l’amour entre femme et homme.

Ce renvoi, déplacement ou extase du chaos dans l’au-delà, sans sublimation correcte de l’amour entre les humains, nous laisse sans lois en ce qui concerne la différence des sexes et le respect de la nature comme micro et macrocosme. La procréation devient alors nécessaire comme sortie du chaos et suspens d’un coït perpétuel.

Dans une telle perspective, il est possible de comprendre que l’amour apparaît comme faute. Il détruit, en effet, l’identité humaine. Il anéantit les corps et les esprits dans une pulsion à l’accouplement perpétuelle et indifférenciée, sans repos ni répit, sans intelligence ni beauté, sans respect de l’humain vivant, sans divinisation adéquate de celui-ci. Dans l’incessant de cette pulsion, les rythmes mêmes de la croissance naturelle sont abolis — et en particulier la naissance —, car elle est apparentée à un masculin-neutre impérialiste, déraciné de l’espace-temps de la vie terrestre.

De ce chaos primitif, nous ne sommes pas loin aujourd’hui. Et les théories de Freud, pour une part, le révèlent à l’œuvre et, pour une autre part, l’entretiennent. La libido, selon lui, est en effet proche de ces pulsions masculines ou neutres correspondant à ce que l’histoire des mythes (l’Histoire sous forme de mythes?) nous décrit comme la manifestation de la sexualité du pôle mâle primitif: Ouranos.

Certes, les pulsions partielles seraient susceptibles de sublimation. Cela veut dire que nous pourrions faire du théâtre pour transformer nos envies exhibitionnistes ou voyeuristes, par exemple. Mais rien ne nous permettrait de sublimer les pulsions génitales, celles correspondant à la différence sexuelle proprement dite. La procréation serait la subsistance, transformée en devoir religieux et civil, d’un remède au chaos primitif toujours présent.

Ce chaos pourrait se désigner comme pulsions de vie en tant qu’attrait sans rapport à l’individuation des personnes, attrait masculin ou neutre déterminé sans doute par un désir de retour au sein maternel et de possession exclusive de la fécondité de ce lieu pour entretenir sa propre vitalité. Le plus positif de l’amour resterait l’envie de régresser dans le tout de ce qui engendre sans respect du corps ni du sexe de qui engendre. Le plus négatif correspondrait au besoin de détruire, y compris soi, y compris la vie et qui la donne, par déstructuration de toute cohésion. Cela reviendrait à réduire toute unité en ses plus petits atomes sans retour possible à un ensemble.

Certes le négatif des pulsions de mort apparaît assez facilement. Ce qui a été bien peu souligné, aveuglément contesté, c’est la destruction à l’œuvre dans les pulsions de vie elles-mêmes en tant qu’elles ne respectent pas l’autre, et en particulier l’autre de la différence sexuelle. Si Freud termine sa vie dans un tel pessimisme sur l’avenir de la culture, si la psychanalyse a produit des effets bien problématiques dans les relations privées et collectives, c’est au fond que Freud ne parle que de sexualité masculine archaïque et que, s’en tenir à un pôle de la différence sexuelle, revient à s’en tenir au chaos d’un désir primitif avant toute incarnation humaine.

L’homme de Freud ressemble à l’Ouranos de la mythologie grecque qui n’a d’autre envie que de pratiquer l’inceste sans arrêt et qui ne veut aucun enfant de tels accouplements, non par vertu mais par jalousie, parce que ses enfants limiteraient l’indéterminé de son pouvoir et le sans-borne de ses attraits. L’abîme n’y correspond donc pas au sexe féminin mais au manque de rythme et d’harmonie des désirs masculins qui refusent en particulier toute manifestation de la différence des sexes pour s’approprier la fécondité du corps maternel.

Poussé par Éros, l’homme s’immerge dans le chaos parce qu’il refuse de faire l’amour avec une autre, d’être deux dans l’amour, de vivre avec tendresse et respect l’attrait sexuel. La sexualité masculine a de nouveau anéanti l’individuation humaine, notamment en confiant la responsabilité d’Éros à l’homme et non à la femme: ce qui signifie aux deux, selon la tradition. La sexualité la plus courante en Occident, celle décrite par Freud, celle interdite ou blâmée par les autorités spirituelles mais encouragée par les médias et les publicistes sans le moindre souci des personnes ni une réglementation civile cohérente, correspond à une sexualité masculine élémentaire, soi-disant irrésistible et utile à la reproduction de l’espèce, sexualité qui a détruit la philotès d’Aphrodite.

Aujourd’hui, il est admis que c’est l’homme qui doit initier la femme à l’amour et qu’il peut le faire sans éducation ni culture, comme s’il était, du fait d’être homme, savant en amour. Le plus souvent, l’homme n’initie pas la femme à grand-chose sinon à un plaisir que la société s’efforce de lui interdire en dehors de l’homme pour l’amener au culte de celui-ci. Ce plaisir révélé par l’amant est tributaire d’instincts et pulsions masculines dont il est souvent bien difficile de définir ce qu’ils gardent d’humain (sinon peut-être l’obscur besoin de l’homme de régresser dans le sein maternel, si tant est que ce soit humain). L’homme-amant entraîne ainsi la femme à l’oubli d’elle-même, à la déchéance d’elle-même, même si cette déchéance lui procure de la jouissance. Je veux dire par là que l’initiation à l’amour n’a plus rien de très subtil ni spirituel (à part quelques rares exceptions) et qu’elle ne tient pas compte des qualités différentes de l’homme et de la femme pour en épanouir l’incarnation. Il est admis qu’Éros détruit l’identité et non qu’il l’accomplit.

Ce qui revient toujours à régresser à une économie du désir antérieur à la naissance d’Aphrodite, à ce désir séparé de l’amour que nous enseignent les psychanalystes, par exemple.

Le chemin de l’amour réciproque entre les personnes est perdu notamment en ce qui concerne l’érotisme. Et celui-ci, au lieu de servir à l’individuation, à la création ou recréation des formes humaines, sert à la destruction ou à la perte d’identité dans la fusion, et au retour à un niveau de tension toujours le même et le plus bas, sans devenir ni croissance. Éros ne pourrait que revenir à une sorte de degré zéro, sorte de point d’équilibre pour l’homme; il ne serait pas susceptible d’un futur positif ici-bas.

Cette conception de l’amour a entraîné les femmes à l’oubli d’elles-mêmes, à la soumission puérile ou esclave à la sexualité masculine et au fait de se consoler de la déchéance et de l’exil d’elles-mêmes par la maternité. Cette maternité -promue par les chefs spirituels comme le seul destin valable pour les femmes - signifie le plus souvent perpétuer une généalogie de type patriarcal en faisant des enfants au mari, à l’État, aux pouvoirs culturels masculins; ce qui aide les hommes à sortir d’un désir incestueux immédiat. Pour les femmes, plus secrètement, la maternité représente le seul remède contre la déréliction ou la déchéance imposées dans l’amour par les instincts masculins, et aussi un chemin pour renouer avec leur mère et les autres femmes.

Comment en sommes-nous arrivés là, nous tous, et, en particulier, nous les femmes?

Un des carrefours perdus de notre devenir femme se situe dans le brouillage et l’effacement des relations à notre mère et dans l’obligation de nous soumettre aux lois du monde de l’entre-hommes.

La destruction de la généalogie féminine, en particulier dans sa dimension divine, se dit de diverses manières à travers les mythes et tragédies grecs. Il n’est plus parlé de la mère d’Aphrodite, Héra l’aurait supplantée, et Zeus reste le Dieu aux multiples amantes mais sans équivalent féminin. La déesse Aphrodite a donc en quelque sorte perdu sa mère. Iphigénie est séparée de sa mère pour être offerte en holocauste dans la guerre de Troie. Si la parole oraculaire se transmettait originellement de mère en fille, à partir d’Apollon elle s’assimile souvent à l’oracle de Delphes qui fait encore une place à la Pythie mais non aux relations mère-fille.

La foi d’Antigone, sa fidélité à la généalogie maternelle et à ses lois, sont punies de mort par le tyran Créon, son oncle, pour s’assurer le pouvoir dans la cité. L’Ancien Testament ne nous parle d’aucun couple heureux mère-fille et Ève vient au monde sans mère. Si on connaît une mère à Marie — Anne —, le Nouveau Testament ne nous les présente jamais ensemble, notamment au moment de la conception de Jésus. C’est Élisabeth que Marie va saluer et non Anne, à moins qu’Élisabeth ne soit Anne, selon une interprétation de Léonard de Vinci. L’éloignement de Marie de sa mère pour un mariage avec le Seigneur est plus conforme à la tradition qui apparaît alors depuis quelques siècles.

Le plus bel exemple du devenir de la relation mère-fille est peut-être illustré par les mythes et rites relatifs à Déméter et Kore. Ces mythes, j’imagine que vous les connaissez un peu. Vous habitez un lieu qui en garde des traces, la mémoire. Comme presque toujours, ces mythes ont plusieurs versions. Cela signifie qu’ils sont apparus à des époques différentes et dans des régions différentes. La plupart des mythes de la Grèce archaïque ont une origine asiatique ou inconnue. Il en va ainsi pour ceux relatifs à Aphrodite, Déméter et Korè-Perséphone. Leur évolution doit s’entendre comme l’effet de migrations dans divers lieux auxquels ils s’adaptent plus ou moins bien et l’effet d’évolutions historiques. Car le mythe ne correspond pas à une histoire indépendante de l’Histoire mais il exprime celle-ci en récits imagés qui illustrent les grandes tendances d’une époque. Cette expression de la temporalité de l’Histoire est tributaire du fait que, en ce temps-là, la parole et l’art n’étaient pas séparés. Ils gardaient, de ce fait, un rapport particulier à l’espace, au temps et à la manifestation des formes de l’incarnation. L’expression mythique de l’Histoire est plus apparentée aux traditions féminines et matrilinéaires.

Dans les mythes concernant les relations mères-filles et les mythes relatifs à la déesse amante et aux dieux couples, le récit, la mise en scène ou l’interprétation sont plus ou moins masqués, travestis, par la culture patriarcale qui se met en place. Cette culture a effacé — peut-être par ignorance ou inconscience — les traces d’une culture antérieure ou simultanée à elle. Ainsi beaucoup de sculptures ont été détruites ou enfouies dans le sol, des rites ont été rayés des traditions ou transformés en rites patriarcaux, des mythes ou mystères ont été interprétés dans l’horizon patriarcal ou comme la simple préhistoire de son avènement.

Il en va ainsi pour les mythes relatifs à Déméter et Korè-Perséphone. Il me semble qu’il y en a au moins deux versions différentes. Dans une version, la fille de Déméter est enlevée par le dieu de l’ombre, du brouillard, des enfers et ensuite séduite par lui malgré elle pour qu’elle ne puisse pas retourner définitivement avec sa mère. Lors de son premier enlèvement par Hadès — appelé aussi Érèbe ou Aidoneus par Homère — , elle regarde des fleurs printanières avec d’autres jeunes filles et, au moment où elle tend les bras vers un narcisse, la terre s’entrouvre et le prince des enfers l’emmène avec lui. Il n’en a pas encore fait sa femme quand Hermès, messager de Zeus, vient la rechercher à la demande de Déméter, sa mère, qui, par chagrin, a rendu la terre stérile. Le dieu des enfers ne peut qu’obéir mais il fait à Perséphone un cadeau empoisonné dans le dos d’Hermès : il lui fait manger des pépins de grenade. Or, qui a accepté un cadeau du prince de l’Hadès en est devenu l’otage.

Cette version est celle de l’hymne homérique. Il arrive que dans des versions ou interprétations plus tardives, Korè-Perséphone soit rendue plus ou moins responsable de son sort. Elle est rapprochée alors de l’Ève séductrice qui entraîne le mâle à la déchéance. Selon les versions initiales, il n’en est rien. Mais l’histoire de Déméter et Korè-Perséphone est si terrible et si exemplaire qu’il est compréhensible que l’époque patriarcale ait voulu faire porter la responsabilité de ses crimes par la femme séductrice. La seule faute de Korè-Perséphone serait de tendre les bras pour cueillir un narcisse. Certes, il est préférable de laisser les fleurs en terre avec leurs racines plutôt que de les cueillir, surtout au printemps. Mais cueillir une fleur doit-il valoir comme châtiment à la fille d’être emmenée en enfer, même si cette fleur est un merveilleux narcisse?

Quelles que soient les raisons qui sont invoquées pour rendre Korè-Perséphone coupable, il est évident que son sort se joue entre dieux-hommes.

Jupiter, Poseidon et Hadès doivent se répartir le ciel, les océans et le monde souterrain. L’épisode du rapt de Koré-Perséphone concerne un conflit de pouvoir entre Zeus et Hadès, deux frères d’origine différente et qui ne peuvent se rencontrer ni se voir à cause de leur appartenance généalogique. Zeus est un descendant de Gaïa, Hadès est un descendant du Chaos. Zeus est un enfant du pôle féminin, conçu avec un de ses premiers fils; Hadès, ou l’Érèbe, est un rejeton du Chaos initial, soit du pôle masculin de l’origine du monde. Zeus veut obtenir la place de Dieu des dieux malgré les puissances masculines infernales qui ont voulu l’anéantir comme individu plus différencié que le Chaos. Il prétend renverser l’initial Chaos en toute-puissance divine masculine.

Pour cette opération, Jupiter, le père de Koré-Perséphone, donne sa fille en mariage à Hadès, qui néanmoins la vole, la viole. Cet épisode se situe, comme bien d’autres, aux moments de passage de la matrilinéarité à la patrilinéarité. Jupiter monnaie la virginité de sa fille contre l’affirmation de sa toute-puissance mâle. Son père ne voulait pas qu’il naisse comme manifestation humaine sexuée; lui, accepte de céder la virginité de sa fille, son identité féminine, pour prix de sa reconnaissance comme Dieu des dieux de l’Olympe.

Pour exister aux yeux de tous comme le bon Dieu, il accepte de donner sa fille en mariage au dieu des enfers. Cette opération se réalise sans l’accord de la fille ni de la mère. Deux choses sont ainsi sacrifiées à l’établissement du pouvoir de Zeus : la virginité de Korè-Perséphone et l’amour entre Déméter et sa fille. En fait, Jupiter n’avait pas le droit d’user ainsi de la fille et de la mère. Ce que Déméter essaiera de lui faire entendre mais que Korè-Perséphone n’osera plus lui dire sinon sous la forme d’un cri d’appel. Jupiter a rompu l’échange de paroles entre sa fille et lui en même temps qu’il l’a privée de sa virginité, enjeu de troc avec Hadès.

Ce sacrifice de la virginité de Korè-Perséphone et de son langage, y compris dans les relations avec sa mère, semble manifester que Jupiter n’a pas encore accès à l’humanité accomplie ni à la divinité de son identité mâle. Mais cette imperfection, il l’a fait porter à Hadès, outre le fait qu’il continue à pratiquer l’inceste et à avoir de multiples amantes, ce qui signifie un manque d’incarnation dans un corps. S’affirmer comme le souverain d’en-haut crée ou entretient l’existence d’un souverain d’en-bas. Doublant le ciel, Jupiter doit aussi doubler la terre.

Jupiter se tient plus haut qu’Ouranos dans l’accès au céleste selon la hiérarchie humaine et divine patriarcale, mais ce plus haut implique un plus bas.

Au souverain Zeus, correspond l’infernal Hadès. Ces deux ne peuvent se voir ni se rencontrer. Le Dieu d’en-haut sera le resplendissant, l’éclatant, mais encore le tonnant, le Dieu de la foudre, des rapports violents entre ciel et terre. Le dieu d’en-bas sera celui de l’indifférenciation transformée en enfers, en brouillards, en abîme. Cette puissance infernale du règne des dieux mâles, ce dieu de l’invisible, sera un voleur, un violeur, l’homme noir dont toutes les petites filles ont peur.

N’est-ce pas le double sombre de Jupiter? N’est-ce pas l’ombre de la souveraineté? L’envers ou l’enfer de sa puissance absolue sans partage tendre avec l’autre sexe? Cet Hadès ne correspond-il pas au revers obscur, et, dans notre parler actuel, à l’inconscient désordonné de ses éclats ?

L’homme noir donc prend la petite fille ou l’adolescente. Il la couvre d’ombre. Il l’emmène sous terre dans son domaine. Elle se refuse à son amant.

Quand il l’entraîne dans le monde souterrain, elle crie mais nul ne l’entend, ni sa mère ni Zeus son père. Le soleil, dit-on, entend l’adolescente, et peut être Hécate. A moins que ce ne soit le soleil qui lui fasse part du rapt de Korè-Perséphone.

C’est Hécate qui, au bout de dix jours, dira à Déméter où est sa fille. Elle lui révélera aussi que l’enlèvement a eu lieu avec la complicité de Zeus, le mari de l’une, le père de l’autre. Déméter alors s’irrite contre les dieux. Elle quitte l’Olympe et se rapproche des mortels. Endeuillée, elle cherche à se consoler en devenant nourrice d’un autre enfant. Sans révéler son identité, elle propose ses services dans une maison où une femme vient d’accoucher d’un benjamin inespéré, un fils tardif, peut-être un fis de dieu, de Zeus. Ses offres sont acceptées.

C’est un petit garçon qui lui est confié en place de sa fille. Et, pour un temps, elle s’en contente.

Mais elle a des projets pour cet enfant. Elle veut en faire un immortel. Elle l’élève donc de facon curieuse : sans le nourrir, en le frottant d’ambroisie, en soufflant sur lui en le tenant sur son cœur, en le mettant la nuit dans le feu. C’est ainsi qu’on ferait un immortel. L’enfant grandit, en effet, comme un dieu. Mais sa mère épie les soins que Déméter donne à son fils. Elle s’en effraie et dévoile sa présence en criant. Déméter, vexée du peu de confiance de cette mortelle, lâche le nourrisson, le laisse sur le sol et décide de suspendre ses fonctions dans cette maison. Elle se fait alors reconnaître et demande réparation au mari pour cette offense.

L’enjeu de sa demande est qu’un sanctuaire lui soit élevé à Éleusis. Ce qui fut fait. Déméter s’y retira et ne pensa qu’à sa fille. Son deuil entraîna la stérilité de la terre, ce qui veut dire plus de nourriture pour les mortels, donc plus de mortels pour honorer les dieux.

Après un an de famine, Zeus s’inquiéta. Il essaya de fléchir Déméter dans sa décision. Il lui envoya comme messager de paix d’abord Iris, puis tous les dieux existant qui lui apportent des présents magnifiques et tous les privilèges qu’elle voudra. Mais Déméter n’accepte rien. Elle veut revoir le visage de sa fille. Notons, à ce propos, que, dans sa peine, elle ne recourt jamais à sa mère. Comme Korè-Perséphone, comme Iphigénie, comme Antigone, comme Marie et comme Eve, ces femmes n’ont plus de mère à qui se confier. La généalogie féminine est déjà interrompue.

L’histoire de Korè-Perséphone révèle que la fille n’en est pas responsable. La mère le serait un peu plus, elle qui commence à se consoler de la disparition de celle-ci en se faisant nourrice d’un enfant mâle. Mais l’acceptation de cette substitution correspond aussi à une vengeance. Un dieu lui a ravi sa fille, elle renonce à vivre avec les immortels et veut leur imposer un mortel comme dieu. Cette solution ayant échoué, elle refuse toute proposition venant du Dieu des dieux, sauf qu’il lui rende sa fille. Zeus comprend qu’il n’y a plus d’autre solution pour sauver les mortels et les immortels. Il envoie Hermès dans l’Érèbe pour rechercher Perséphone.

Et Hadès ne peut qu’obéir. Mais il ruse encore pour garder la maîtrise: il fait manger à Perséphone un pépin de grenade; ce qui la rend, à son insu, otage des enfers.

Mère et fille se retrouvent avec bonheur. Déméter demande à Perséphone de lui raconter tout ce qui lui est arrivé. Elle lui en fait le récit en commençant par la fin. Elle remonte le temps en quelque sorte, comme doit le faire aujourd’hui toute femme qui tente de retrouver les traces de l’éloignement de sa mère. C’est à cela que devrait lui servir le parcours psychanalytique, à retrouver le fil de son entrée et, si possible, de sa sortie des enfers.

Mais revenons aux retrouvailles de Déméter et de Perséphone. Elles passent tout le jour à unir leurs cœurs, à se réconforter, à se donner des preuves de leur joie. Hécate vient se joindre à elles et, depuis ce temps, elle aura une place importante dans les mystères liés à Korè-Perséphone. En particulier, elle la suit lors de sa descente aux enfers et elle la précède lors de son retour sur la terre.

En effet, le cadeau empoisonné que Perséphone a accepté de Hadès semble suffisant pour qu’elle lui reste soumise au moins un tiers de l’année : la saison froide. De même, et différemment, manger une pomme suffira à être exclu(e) du paradis terrestre. A ce moment-là, il est vrai, l’interdit serait clairement énoncé avant la faute, ce qui n’est pas le cas pour Korè-Perséphone. Mais il s’agit toujours d’histoires de pièges ou tabous un peu semblables concernant les fleurs ou les fruits dont tantôt le prince des ténèbres est clairement responsable, tantôt la culpabilité est imputée à une femme. Il est vrai qu’Ève n’en est plus une puisqu’elle est tirée de la côte d’Adam. Ève n’est que partie d’Adam, créée sans mère, ce qui n’est pas le cas de Korè-Perséphone, déesse, fille de déesse, d’un couple de dieux. Le lien entre humanité et divinité n’est pas alors tranché. Il se tisse tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, avec de curieuses épreuves ou ruses, d’étranges interdits imposés aux femmes pour établir une généalogie et théologie descendantes patriarcales.

Tous ces codes échappent à la petite fille. Si elle se trompe, elle ne le décide pas. Elle est prise dans des enjeux, contractuels ou non, entre hommes, entre hommes et dieux mâles. Selon ces accords, elle devrait tout refuser des hommes et des dieux pour ne pas être séduite par erreur de sa part. Elle devrait se tenir radicalement à l’écart du peuple des hommes, des contrats entre hommes, des relations entre hommes, jusqu’à ce que sa virginité ne soit plus un lieu de tractations entre eux. Elle devrait se souvenir que la virginité signifie le rapport qu’elle entretient à son intégrité physique et morale et non le prix d’un marché entre hommes. Elle devrait apprendre à se garder pour elle, pour ses dieux et ses lois, pour l’amour dont elle est capable si elle n’est pas emportée hors d’elle, volée, violée, privée de la liberté de gestes, de paroles, de pensées.

Évidemment cette liberté doit être réelle et non commandée; la liberté de séduire en fonction des instincts masculins ou d’acquérir l’égalité de droits à l’intérieur d’un ordre unisexe masculin est seulement une liberté superficielle qui a déjà exilé la femme d’elle-même, qui lui a déjà ôté toute identité spécifique. Elle n’est alors qu’une sorte de pantin, ou un objet mobile, réduite à être soumise à d’élémentaires pulsions à buts passifs. Elle s’imagine avoir besoin d’être « baisée » par un homme, elle souffre d’un élémentaire besoin de type oral (partiellement projection inversée venant du désir masculin), écrit savamment Freud, sans penser que ce besoin peut signifier l’effet de la soumission de la femme aux instincts masculins. Ce besoin serait une sorte de survivance du chaos initial que le désir mâle a ouvert au flanc de la terre.

Ce chaos, en effet, est toujours là. Il se manifeste dans l’économie pulsionnelle sans génitalité de la libido, économie dans laquelle est emprisonnée la femme. L’un - lui - reste dans la régression incestueuse et dans la possession anale, l’autre - elle - est réduite à une mendicité de type oral. La femme aurait toujours faim de lui sans retour à elle.

À force, elle aurait attrapé faim de l’abime qu’il a ouvert en elle; elle serait malade d’une faim sans fond parce que ce ne serait pas sa faim, mais l’abîme en elle de la faim naturelle et culturelle de l’autre. Tout cela ne pouvait arriver sans qu’elle soit séparée de sa mère, de la terre, de ses dieux et de son ordre. Voilà la faute initiale qui rend la femme séductrice sur fond de néant.

Mais pourquoi l’avoir enlevée à sa mère? Pourquoi avoir détruit les généalogies féminines? Pour établir un ordre dont l’homme avait besoin mais qui ne correspond pas encore à celui du respect et de la fécondité de la différence sexuelle.

Pour rendre à nouveau possible une éthique de la différence sexuelle, il faut renouer le lien des généalogies féminines. Beaucoup pensent ou croient que nous ne savons rien des relations mères-filles. C’est la position de Freud qui affirme qu’il faut aller questionner sur ce point, derrière la civilisation grecque, une autre civilisation effacée. C’est historiquement exact, mais cette vérité n’empêche pas Freud de théoriser et imposer, dans la pratique psychanalytique, la nécessité du détournement de la fille par rapport à la mère, de la haine entre elles, et sans enjeu de sublimation de l’identité féminine, pour l’entrée dans le désir et la loi du père. Cela est inacceptable. Freud se conduit ici en prince des ténèbres par rapport à toutes les femmes. Il les entraîne dans l’ombre et la séparation d’avec leur mère et d’avec elles-mêmes pour l’établissement d’une culture de l’entre-hommes : au niveau du droit, de la religion, du langage, de la vérité et de la sagesse. Pour que la fille vierge devienne femme, elle doit se soumettre à une culture, en particulier de l’amour, qui représente pour elle l’Hadès. Elle doit oublier son enfance, sa mère, elle doit s’oublier dans sa relation à la philotès d’Aphrodite.

Si la rationalité de l’Histoire revient à nous souvenir de tout ce qui a eu lieu et à en tenir compte, il est nécessaire de faire entrer dans l’Histoire l’interprétation de l’oubli des généalogies féminines et d’en rétablir l’économie.

Les justifications qui sont données de l’interruption de l’amour mères-filles disent que cette relation serait trop fusionnelle. Ainsi la psychanalyse nous enseigne que la substitution du père à la mère est indispensable pour permettre de créer une distance entre mère et fille. Il n’en est rien. La relation mère-fils, elle, est fusionnelle parce que le fils ne sait pas comment se situer vis-à-vis de celle qui l’a engendré sans réciprocité possible. Lui, ne peut concevoir en lui. Il ne peut qu’artificiellement s’identifier à qui l’a conçu. Pour se séparer de sa mère, l’homme a donc besoin de se constituer toutes sortes d’objets, y compris transcendantaux — des dieux, de la Vérité — pour résoudre cet insoluble rapport entre celle qui l’a porté en elle et lui.

La situation est différente pour la fille, potentiellement mère, et qui peut cohabiter avec sa mère sans détruire l’une ou l’autre et avant la médiation d’objets spécifiques. La nature est, pour elles, un milieu privilégié; la terre est leur lieu. Dans son site toujours fécond, mère et fille coexistent avec bonheur. Elles sont, comme la nature, fécondes et nourrissantes, ce qui ne les empêche pas d’entretenir entre elles des relations humaines. Ces relations passent par l’établissement de généalogies féminines, mais pas seulement. Ainsi, les paroles de la fille à la mère représentent peut-être les modèles de langage les plus évolués et les plus éthiques en ce sens qu’elles respectent les relations intersubjectives entre les deux femmes, qu’elles expriment la réalité, qu’elles utilisent correctement les codes linguistiques, qu’elles sont riches qualitativement.

La société, le monde social de l’entre-hommes, la culture patriarcale fonctionnent pour les petites filles comme l’Hadès pour Korè-Perséphone. Les justifications données pour expliquer cet état de choses sont inexactes. Les traces de l’histoire de la relation entre Déméter et Korè-Perséphone nous en apprennent davantage. La petite fille est enlevée à sa mère pour un contrat entre dieux-hommes. Le rapt de la fille de la grande Déesse sert à l’établissement du pouvoir des dieux mâles et à l’organisation de la société patriarcale. Mais ce rapt représente un viol, un mariage sans consentement de la fille ni de la mère, une appropriation de la virginité de la fille par le dieu des enfers, un interdit de parler imposé à la fille et à la femme, une descente pour elle(s) dans l’invisible, l’oubli, la perte d’identité et la stérilité spirituelle.

Le patriarcat est fondé sur le vol et le viol de la virginité de la fille et son utilisation pour un commerce entre hommes, y compris au niveau religieux. Ce commerce s’exerce par de la circulation de monnaie mais aussi par l’échange de biens fonciers et pour des enjeux de pouvoirs symboliques ou narcissiques. Sur cette faute originelle, le patriarcat a construit son ciel et ses enfers. A la fille, il a imposé le silence. Il a dissocié son corps de sa parole, sa jouissance de son langage. Il l’a entraînée dans le monde des pulsions masculines, monde où elle est devenue invisible et aveugle pour elle-même, pour sa mère, pour les autres femmes et même pour les hommes, qui peut-être la veulent telle. Le patriarcat a ainsi détruit le lieu le plus précieux de l’amour et de sa fécondité: la relation entre mère et fille dont la petite fille vierge garde le mystère. Cette relation ne dissocie pas l’amour du désir ni le ciel de la terre et elle ne connaît pas l’enfer. Celui-ci apparaît un résultat d’une culture qui a anéanti le bonheur sur la terre en renvoyant l’amour, y compris divin, dans un au-delà de nos relations présentes. Pour rétablir une élémentaire justice sociale, pour sauver la terre d’une totale soumission à des valeurs masculines (qui privilégient souvent la violence, le pouvoir, l’argent), il est nécessaire de restaurer ce pilier manquant dans notre culture: la relation mère-fille et le respect de la parole et de la virginité féminines. Cela demande une modification des codes symboliques, en particulier du langage, du droit, de la religion.


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Luce St-Cyr, chargée de cours à l’Université de Sherbrooke.